#1 “Qu’est-ce qu’il s’est passé aujourd’hui ?”

Il y a des enfants qui vivent leur journée d’école… et il y a ceux qui doivent ensuite la rejouer, scène par scène, chaque soir, sous forme d’interrogatoire parental sophistiqué.
« Qui t’a parlé ? », « Pourquoi il t’a dit ça ? », « Et qu’est-ce que la maîtresse a fait ? », « Comment tu t’es senti ? »
L’enfant n’a plus de vie vécue : il a un compte rendu à produire.

À force de vouloir tout comprendre, certains parents transforment l’enfance en procédure. Rien ne doit rester flou, spontané, inachevé. Il faut nommer, décortiquer, analyser, commenter — comme si l’enfant risquait de s’effondrer s’il ne “mettait pas des mots” sur chaque micro-événement d’une récréation.

Vous pensez faire bien. Vous pensez protéger. Mais à ce niveau-là, ce n’est plus de la protection : c’est une captation de l’expérience. Ce n’est plus de l’écoute : c’est du contrôle.

Et le résultat est très clair :
l’enfant ne digère plus rien — puisqu’on le force à revivre tout.

Vous vous demandez pourquoi il rumine ?
Parce que vous relancez la machine, chaque soir, en le forçant à revisiter ce qui aurait pu s’éteindre tout seul.

Et puis, comme un enfant n’a pas la mémoire ni la structure narrative d’un adulte, il reconstruit. Il mélange. Il amplifie. Il raconte non pas ce qu’il a vécu, mais ce qu’il comprend que vous attendez d’entendre.

Ce n’est pas du mensonge.
C’est de la survie face à votre besoin de tout maîtriser.

Et il y a une autre dérive : quand vous prenez au sérieux et au pied de la lettre ces récits reconstruits, et que vous cherchez un responsable — un autre enfant, un enseignant, une animatrice — pour justifier ce que vous refusez de laisser à la maturation normale.

Vous appelez cela “protéger”.
Mais pédagogiquement, c’est défaire ce que l’école construit.

Vous apprenez à l’enfant qu’il est fragile, menacé, sans ressources, et qu’il faut un adulte pour traduire, valider et venger ce qu’il vit.
Vous lui retirez la possibilité d’apprendre à vivre avec les autres sans avocat permanent.

Personne ne vous accuse d’aimer trop.
Mais quand l’amour devient audit, analyse et suspicion, il empêche de grandir.

L’enfance a besoin :

  • de conflits pour apprendre la réparation,

  • de frustration pour apprendre l’endurance,

  • de flou pour apprendre la confiance.

Et si vous changiez une seule chose ?

Au lieu de :
« Qu’est-ce qui s’est passé à l’école aujourd’hui ? »
essayez simplement :
« On joue ? »,
« On fait un gâteau ? »,
« On lit une histoire ? »

Laissez l’école faire son travail.
Laissez l’enfant digérer par lui-même.
Laissez du silence entre ce qu’il vit et ce que vous croyez devoir comprendre.

L’enfance n’est pas un dossier à suivre, ni une enquête à instruire.
C’est un espace à laisser vivre, un peu —
sans témoin, sans compte rendu, sans débrief.

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#2 “Je ne veux plus que tu joues avec cet(te) enfant”