#2 “Je ne veux plus que tu joues avec cet(te) enfant”

C’est une phrase qui revient souvent, prononcée avec sérieux, parfois au calme, parfois sur le pas de la porte de l’école :
« Je t’interdis de jouer avec cet enfant. »
On la dit comme on fermerait un robinet de gaz.
Avec la conviction qu’on protège. Avec l’idée qu’on “éloigne le problème”.

Mais en réalité, que dit-on à un enfant de quatre, cinq ou six ans quand on lui impose ça ?

On lui dit :
« Les relations se gèrent par exclusion, pas par régulation. »
« Si quelqu’un te dérange, tu supprimes la personne, pas le conflit. »
« On ne se réconcilie pas, on élimine. »
« Tu n’as pas les ressources pour affronter une situation sociale, donc je décide à ta place. »

C’est une décision adulte prise pour calmer une angoisse adulte —
et transférée sur un enfant qui, lui, avait justement besoin d’apprendre.

L’apprentissage du social n’a lieu que dans le social

On ne prépare pas un enfant à la relation… en le retirant de la relation.

Les gestes brusques, les désaccords, les conflits entre pairs en maternelle ne sont pas des dérives :
ce sont des situations formatrices.

La maîtrise de soi ne s’apprend pas en évitant l’autre,
mais en présence de l’autre, avec un adulte qui cadre, reformule, contient.

Interdire un camarade, c’est pédagogiquement l’équivalent de dire :

« Pour apprendre à nager, je te retire de l’eau. »

Ce que produit réellement l’interdiction

L’adulte croit apaiser l’enfant.
En réalité, il installe trois effets durables :

  1. Stigmatisation — l’enfant construit l’idée qu’il existe des “mauvais enfants” à éliminer, au lieu de “mauvaises situations” à dépasser.

  2. Rigidification sociale — on fige les rôles : l’un est “toxique”, l’autre “victime”, et on prive la relation de toute possibilité d’évolution.

  3. Incompétence acquise — l’enfant n’apprend pas à gérer le conflit par lui-même, il apprend que quelqu’un d’autre réglera toujours à sa place.

C’est une victoire psychologique pour le parent,
et une défaite éducative pour l’enfant.

Ce que l’on devrait dire à la place

Au lieu de retirer l’enfant du terrain,
on pourrait lui donner une boîte à outils :
— « Si ça recommence, tu dis stop. »
— « Tu peux venir chercher un adulte. »
— « On réglera ça ensemble. »
— « On apprend aussi à vivre avec les autres, même quand c’est difficile. »

C’est cela, éduquer :
équiper, pas contourner.
Encadrer, pas éliminer.

La mère ou le père se sent soulagé. L’enfant, lui, ne grandit pas.

L’interdiction n’est pas un acte de protection.
C’est un acte de contrôle — qui répond à l’angoisse du parent, pas au besoin de l’enfant.

L’école, elle, ne peut pas — et ne doit pas — retirer les enfants les uns des autres pour garantir une fiction de paix.
Elle doit faire ce que la famille ne peut pas faire seule :
apprendre à vivre ensemble dans le réel, pas dans l’évitement.

Parce que dans la vie, on ne choisira pas toujours avec qui on partage un bureau, une équipe, un voisin, un monde.
Et l’enfance est justement l’endroit où cela s’apprend.

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